Le désaccord entre Mario Draghi (dans son rapport sur la compétitivité européenne) et Ursula von der Leyen révèle des différences de priori...
Le désaccord entre Mario Draghi (dans son rapport sur la compétitivité européenne) et Ursula von der Leyen révèle des différences de priorités, d’approche stratégique et de rythme dans la mise en œuvre. Voici une analyse détaillée de ce que ce désaccord expose, ses implications possibles, et les défis sous-jacents pour l’avenir de la compétitivité européenne.
Contexte
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Ursula von der Leyen, Présidente de la Commission européenne, a demandé à Draghi de rédiger un rapport (« competitiveness report ») pour diagnostiquer les faiblesses de l’UE et proposer des réformes.
Draghi a produit une série de recommandations très ambitieuses (réformes structurelles, financement, rôle accru de l’UE, politique industrielle plus intégrée) pour relancer la croissance, la souveraineté économique, la capacité d’innovation, etc.
Ce que révèle le désaccord
Thème | Position de Draghi | Position / actions de von der Leyen | Ce que cela révèle |
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Ambition vs. faisabilité politique | Draghi insiste sur une transformation rapide et profonde : industrial policy forte, initiatives de financement commun, fonds publics & privés massifs, réduction des freins réglementaires. | Von der Leyen semble plus prudente : elle intègre beaucoup des propositions de Draghi, mais elle met des conditions, des garde-fous, et reste plus mesurée sur l’endettement commun ou des modifications judiciaires/reglementaires radicales. Elle met en place une « task force » pour traduire les idées en actes. | L’UE est dans l’équilibre complexe entre ce qui est souhaitable et ce qui est politiquement acceptable pour les États membres. Von der Leyen cherche à avancer sans brusquer les lignes nationales, tandis que Draghi insiste sur l’urgence. |
Financement et dette commune | Draghi propose l’émission régulière de dette commune de l’UE pour financer les grands projets (infrastructures, innovation, défense, énergie verte). Il estime que les investissements nécessaires sont colossaux : ~ €750-800 milliards par an pour rattraper les États-Unis et la Chine. | Von der Leyen reconnaît la nécessité de financements communs pour certains projets européens mais n’a pas encore accepté l’idée d’une dette commune généralisée comme solution principale. Elle préfère utiliser le budget de l’UE, certains mécanismes existants, des contributions nationales, et des réformes. | Cela révèle un clivage sur le degré d’intégration budgétaire que l’UE est prête à accepter. Les États “frugaux” et ceux préoccupés par la souveraineté budgétaire s’opposent à toute initiative qui réduirait leur autonomie. |
Rythme des réformes / urgence | Draghi alerte sur “l’inertie”, le danger du retard, et le fait que l’UE “tombe derrière” ses concurrents parce que les décisions arrivent trop lentement. Il appelle à un rythme d’action “dans les mois”, pas années. | Von der Leyen a admis que l’UE manque d’urgence, et elle a promis des actions (réforme des règles de fusion, réduction de la bureaucratie, etc.), mais les résultats jusqu’à présent restent limités (≈ 11-12 % des recommandations de Draghi ont été mises en œuvre pleinement) | Le désaccord révèle une tension constante entre ce qui est possible dans le cadre institutionnel actuel (avec de nombreuses contraintes nationales, légales, de consensus) et l’ambition nécessaire pour rester compétitif dans un monde qui change vite. |
Approche de la régulation et de la politique industrielle | Draghi prône une approche plus directive pour l’État / collectivité (ou UE) : définir des industries prioritaires, ajuster les règles de fusion, lever les barrières réglementaires qui découragent l’innovation, etc. | Von der Leyen semble vouloir préserver une approche mixte : encourager le secteur privé, allègement réglementaire, mais sans renoncer aux principes européens forts (protection de l’environnement, droits sociaux, normes, etc.). Elle doit ménager les divergences entre États sur ces sujets. | On voit ici un dilemme stratégique : pour être compétitive, l’Europe doit simultanément libérer certains secteurs, être plus agile, mais aussi préserver ce qui fait souvent l’identité de son modèle (normes, régulation, modèle social). Trouver l’équilibre est compliqué mais essentiel. |
Implications
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Risques :
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Si l’UE tarde trop, elle risque de perdre du terrain industriel, d’innovation, et de dépendre davantage de chaînes d’approvisionnement extérieures pour les technologies clés.
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L’écart de productivité avec les États-Unis et la Chine pourrait continuer de se creuser, ce qui pourrait peser sur les salaires et les niveaux de vie des Européens.
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L’inaction prolongée pourrait aussi éroder la confiance des citoyens et des entreprises dans la capacité de l’Europe à agir.
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Opportunités :
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Les propositions de Draghi fournissent une feuille de route assez claire pour faire un “bond compétitif” : investissements dans l’innovation, green tech, uniformisation/rationalisation de la régulation, etc.
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L’initiative de von der Leyen de créer un “compass de compétitivité” et une task force pour appliquer des recommandations montre qu’il y a une volonté politique — même si le chemin est semé d’obstacles.
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Cela pourrait entraîner un renforcement des mécanismes européens (financement commun, coordination sectorielle) qui, s’ils fonctionnent bien, augmenteraient la résilience économique de l’UE.
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Défis à surmonter
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Résistances nationales : Certains États craignent les transferts de souveraineté, les obligations financières supplémentaires, ou la perte de contrôle dans des domaines stratégiques.
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Complexité institutionnelle : L’UE fonctionne avec de nombreuses procédures, une législation compliquée, et souvent le besoin de consensus entre 27 États. Cela ralentit les décisions.
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Financement : Trouver des sources de fonds publiques ou communes (et accepter la dette européenne) est politiquement sensible. Beaucoup de capitaux privés sont disponibles, mais sans soutien public et certitude réglementaire, ils peuvent hésiter.
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Maintien du modèle social / normes environnementales : Avancer vite ne doit pas signifier affaiblir la protection de l’environnement, les droits du travail, ou les standards qui caractérisent souvent l’Europe. L’équilibre entre compétitivité et valeurs rester t central.
Conclusion
Le désaccord entre Draghi et von der Leyen montre que l’Europe est à un tournant : les constats sur la perte de compétitivité sont largement partagés, mais les voies pour y remédier et le rythme de changement divergent. Von der Leyen semble jouer une carte de la prudence structurée, cherchant à faire mieux mais en ménageant les sensibilités des États-membres et des institutions. Draghi, lui, presse à un effort massif, rapide, plus risqué mais potentiellement plus payant.
L’enjeu est clair : si l’Europe ne se donne pas les moyens d’agir plus vigoureusement — réforme, investissement, meilleure gouvernance — elle risque de laisser passer une fenêtre de compétitivité critique face aux États-Unis et à la Chine. Ce désaccord pourrait se transformer en débat constructif, mais il pourrait aussi devenir un frein si les États s’accrochent à des logiques nationales ou à des résistances de principe.
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